C'est une magnifique époque pour les films d'horreur, alors que les productions ludiques (Final Destination: Bloodlines) et plus ambitieuses (Sinners) font la pluie et le beau temps aux guichets. Bring Her Back ne trônera peut-être pas au sommet du box-office, mais il s'agit d'une des propositions les plus terrifiantes de l'année.
Par l'entremise de leur angoissant Talk to Me (2023), les jumeaux Danny et Michael Philippou sont devenus les nouvelles coqueluches du cinéma de genre. Non seulement les cinéastes australiens sont parvenus à transcender leurs racines web (leur populaire chaîne Youtube diffusait d'amusants courts métrages d'épouvante) avec une oeuvre mature et cinématographique qui amenait du sang neuf au film de possession, mais ils vont encore plus loin avec ce second long métrage complètement démentiel.
L'introduction laissait pourtant craindre le pire. Une séquence incompréhensible et inutilement bizarre part le bal, qui est suivie par une scène qui nage allègrement dans le mélo le plus racoleur. Cela se replace heureusement rapidement. Suite au suicide de leur père, Andy (Billy Barratt) et sa demi-soeur aveugle Piper (Sora Wong) sont recueillis par Laura (Sally Hawkins). Malgré tout le bon vouloir de cette femme dévouée et ses soins constants apportés à un orphelin énigmatique qu'elle héberge déjà, la cellule familiale tarde à prendre forme et les plaies à se cicatriser.
Le film n'hésite pas à laisser momentanément ses effets chocs au vestiaire pour faire exister ses personnages déchirés, hantés par leur passé. Ils vivent tous dans des prisons de solitude, cherchant malgré tout un peu de chaleur humaine auprès de leurs semblables. En traitant du chagrin et du deuil, le récit rappelle surtout l'importance de la sphère familiale, celle qui rapproche les gens ou, au contraire, les éloigne en produisant involontairement des traumas. C'est ce cauchemar domestique teinté de mélancolie qui prend forme à l'écran.
Plus le long métrage avance et plus il devient étrange, imprévisible et perturbant. Par exemple, comme chez David Lynch et Michael Haneke, les visionnages de mystérieuses cassettes VHS complexifient davantage les situations au lieu de les éclaircir, teintant le réel de fantastique. Le spectateur s'amuse ainsi à relier les nombreux trous de l'histoire. Si celle-ci ne fait pas toujours de sens (on se croit parfois devant Martyrs de Pascal Laugier), elle demeure diablement efficace et donne le goût de revoir le tout rapidement, seulement pour mieux analyser la symbolique de l'eau.
Les Philippou n'ont que faire des explications. Les réalisateurs optent pour un cinéma du ressenti. Celui qui donne froid dans le dos tant la tension, anxiogène, n'épargne rien ni personne. Elle est palpable grâce à leur mise en scène tendue à souhait, qui fait littéralement tourner le coeur lors des moments de body horror à rendre jaloux David Cronenberg. Âmes sensibles s'abstenir... quoique l'humour très noir ne soit jamais bien loin.
La plus grande révélation du film demeure pourtant Sally Hawkins. L'actrice britannique, découverte dans Happy-Go-Lucky de Mike Leigh, est devenue célèbre en participant à des créations aussi différentes que The Shape of Water, Blue Jasmine et différents épisodes de Godzilla et de Paddington. Elle incarne généralement des êtres naïfs et enjoués qui foncent malgré l'adversité. Ici, c'est tout le contraire. Sa souffrance l'amène à manipuler son entourage et elle campe dans cet étonnant contre-emploi l'une des «méchantes» les plus mémorables vues au cinéma depuis belle lurette.
Le septième art horrifique australien est en vogue depuis quelques années et Bring Her Back ajoute une nouvelle pièce maîtresse à l'édifice érigé notamment par Jennifer Kent (The Babadook), Ben Young (Hounds of Love) et Natalie Erika James (Relic) en rappelant que l'horreur prend souvent racine dans la famille. Les frères Philippou n'hésitent pas à pousser la terreur encore plus loin en la rendant particulièrement dérangeante et inconfortable. Le résultat n'est évidemment pas pour tous les appétits, mais il s'agit d'un film qui sera difficile - voire même impossible - à oublier.