Fraîchement présenté en compétition officielle au Festival de Cannes (où il est reparti bredouille), The Phoenician Scheme prend déjà l'affiche dans les salles de cinéma. Bien que Wes Anderson n'ait plus besoin de présentation et qu'il demeure l'un des cinéastes contemporains les plus réputés et appréciés, il avait des choses à prouver après quelques oeuvres éparpillées (The Wonderful Story of Henry Sugar and Three More, Asteroid City, The French Dispatch).
On sent un désir de revenir aux sources avec ce nouveau conte qui rappelle The Grand Budapest Hotel, son plus grand - et peut-être meilleur - film en carrière. Tout le monde veut faire la peau à notre héros (Benicio del Toro) qui s'embarque dans une folle aventure avec sa fille (Mia Threapleton). En reprenant les codes du récit d'espionnage, le long métrage ressemble à s'y méprendre à un épisode de Tintin, où la violence - rarement aussi présente dans une création d'Anderson - est traitée de façon ludique.
L'intrigue inutilement complexe rappelle que rien n'est jamais simple chez cet auteur unique, au style immédiatement reconnaissable. Les thèmes (filiation, conséquences du capitalisme, foi, environnement) ajoutent une profondeur certaine à un ensemble déjà dense et touffu. Non seulement les dialogues abondants sont rois, mais ils sont aussi sinon plus importants que les gags visuels. Il faudra donc multiplier les visionnements afin de saisir les nombreuses subtilités. En attendant, la comédie noire succède à la franche rigolade et les moments cultes se succèdent, que ce soit cette partie de basketball ou ce combat final qui semble provenir tout droit de l'animation Fantastic Mr. Fox.
La relation père/fille se trouve au coeur des enjeux et c'est elle qui dicte le bal lorsque l'intrigue se perd en chemin. Benicio del Toro campe avec délectation le riche homme d'affaires Zsa-zsa Korda (en clin d'oeil au grand réalisateur Alexander Korda) et il forme un duo délectable avec Mia Threapleton (la fille de Kate Winslet) qui interprète une étonnante religieuse à la recherche de l'assassin de sa mère. Le reste de la distribution, évidemment de haut niveau, convoque les fidèles acolytes d'Anderson (Scarlett Johansson, Tom Hanks, Benedict Cumberbatch...) tout en ouvrant sa famille à des nouveaux venus (Riz Ahmed et Michael Cera, ce dernier volant la vedette avec ses répliques irrésistibles). Tout ce beau monde trouve aisément leurs repères dans cette bande dessinée mouvementée où ils ressemblent parfois plus à des marionnettes qu'à de véritables humains.
The Phoenician Scheme est, comme ses prédécesseurs, facile à admirer. Ce trip flamboyant répond à la logique du rêve, bénéficiant d'une mise en scène virtuose et colorée, où rien n'est laissé au hasard. De nombreux plans s'avèrent d'ailleurs de véritables oeuvres d'art, clairement inspirées de peintures. En faisant appel à un nouveau directeur de la photographie (le Français Bruno Delbonnel, à qui l'on doit notamment les images inoubliables du Fabuleux destin d'Amélie Poulain et The Tragedy of Macbeth), Anderson palpe régulièrement la perfection, qui est perceptible lors de ces envolées en noir et blanc au Paradis.
Mais son long métrage, aussi esthétisant que divertissant, mené tambour battant par l'exquise trame sonore d'Alexandre Desplat, finit par laisser de glace. Le spectateur est ébloui par la forme extraordinaire qui impressionne de film en film. Sauf que ce contrôle absolu, qui est présent chez son créateur depuis deux décennies (depuis The Life Aquatic with Steve Zissou plus exactement), se fait au détriment de l'émotion. Il y avait pourtant matière ici à tendresse et sensibilité, surtout que les relations familiales sont loin d'être au beau fixe. Il ne faut seulement pas s'attendre à un nouveau The Royal Tenenbaums.
Si Wes Anderson tourne toujours le même film (ce qui n'est pas une mauvaise chose), il tourne peut-être trop vite, ce qui explique son rythme de production accru ces dernières années pour des résultats qui ne sont pas toujours mémorables. En évitant la parodie de ses prédécesseurs, The Phoenician Scheme s'avère son long métrage le plus stimulant depuis Isle of Dogs. Cet opus excentrique à souhait, d'une splendeur visuelle sans nom, pourrait paraître vain et répétitif pour les détracteurs du cinéaste, mais il comblera à coup sûr sa légion d'admirateurs qui ont besoin de leur dose annuelle de fantaisie décalée.