Créateur d'oeuvres traumatisantes comme Hereditary et Midsommar, Ari Aster est un des grands maîtres contemporains de l'horreur, aux côtés de Jordan Peele et Robert Eggers. Le cinéaste américain semble toutefois délaisser le cinéma de genre avec ses récentes fresques qui se veulent plus ambitieuses. Après son clivant Beau is Afraid où l'on retrouvait le meilleur et le pire de son cinéma, place à l'aussi polarisant Eddington qui n'a pas fait l'unanimité à Cannes... mais qui a été applaudi chaleureusement à Fantasia.
Se déroulant dans la ville fictive d'Eddington au Nouveau-Mexique en mai 2020, le long métrage relate l'affrontement entre un shérif conservateur (Joaquin Phoenix) et le maire démocrate (Pedro Pascal) en pleine campagne de réélection. Tout est sujet d'animosité entre les deux hommes, que ce soient les nouvelles règles sanitaires en place et l'amoureuse (Emma Stone) du policier qui serait également l'ex du politicien. L'atmosphère est explosive et il ne tarde pas à s'envenimer...
Difficile de trouver une production qui décrit le mieux le mal-être étasunien présent. Depuis la pandémie, la population américaine n'a jamais été aussi divisée et les théories du complot fusent de toutes parts. Le film n'épargne rien ni personne, s'attaquant à la fois à la gauche bien-pensante qu'à la droite capitaliste, au mouvement Black Lives Matter et aux conspirationnistes, avec une férocité redoutable. Le ton est acerbe, d'un cynisme et d'une misanthropie qui font parfois sourciller.
La charge n'est pas sans rappeler celle de The Substance de Coralie Fargeat. L'importance du sujet est dissimulée derrière une comédie très noire et délirante où le rire permet de ne pas pleurer. La satire politique fonctionne à plein régime, naissant d'endroits insoupçonnés et il s'agit sans doute de l'essai le plus hilarant d'Aster. Déjà Midsommar (toujours le sommet inégalé de son auteur) affichait une propension pour l'absurde. Là, on l'embrasse goulûment sans se poser trop de question.
Cela rend l'ensemble globalement intéressant et divertissant. Mais cela se fait également à ses risques et périls. Eddington ne tarde pas à crouler sous ses thèmes, beaucoup trop nombreux. Le récit est lourdement écrit et il manque cruellement de subtilité. Les intentions sont tellement appuyées qu'elles finissent presque par noyer le poisson. De sévères répétitions se font également ressentir dans la première partie. À l'instar de Beau is Afraid, resserrer le montage aurait permis à l'exécution d'être encore plus puissante.
Ces quelques faux pas sont heureusement éclipsés dans la seconde partie, beaucoup plus sombre et imprévisible. S'il est toujours question d'une farce, elle finit par tourner au cauchemar. Le climat de violence latent depuis le début explose à la figure des individus. De la caricature sans conséquence, le cinéphile est exposé à un Mal beaucoup plus sournois et tangible, car réaliste et palpable chez nos voisins du Sud. C'est ce qu'on appelle de l'épouvante à l'état pur
Comme toujours chez le cinéaste, notre protagoniste se fait manipuler par une force omnisciente, devenant une simple marionnette entre ses mains. L'inspiration semble provenir cette fois de Needful Things, le célèbre livre de Stephen King, où le Diable semait la bisbille dans une communauté sans histoire, retournant les gens les uns contre les autres. Ce qui débute comme un simple quiproquo sur le port du masque fait rapidement boule de neige et le sang ne tarde pas à être versé.
Diviser pour mieux régner, n'est-ce pas le mantra d'un certain président américain? Notre (anti)héros shérif en représente un double éclatant, jetant de l'huile sur le feu partout où il passe, encourageant la révolte armée lorsqu'il se fait ridiculiser lors d'une séquence éblouissante. Joaquin Phoenix le personnifie à la perfection, dominant une distribution exemplaire qui comprend également Austin Butler et Luke Grimes. Si seulement les rôles féminins étaient aussi étoffés...
En reprenant les codes du western, Ari Aster utilise la magnificence de ses paysages - la photographie de Darius Khondji est extraordinaire - afin de parler des maux qui rongent l'Amérique. Une menace fantôme issue de territoires des Premières Nations finit d'ailleurs par se resserrer sur notre policier désemparé. De ces confrontations spatiales, le cinéaste en tire une mise en scène admirablement contrôlée, dont les excès sont autant de bombes à retardement.
Malgré sa propension à tout tourner en dérision, Eddington est sans doute le film qui décrit le mieux la situation chaotique qui prévaut actuellement aux États-Unis. Même s'il part dans toutes les directions, le récit inclassable tour à tour frustrant et audacieux glace régulièrement le sang, développant ses enjeux moraux en rappelant que l'horreur est partout. Elle tisse insidieusement sa toile de mensonges pour mieux dévorer ses proies, se révélant à l'écran aussi inquiétante que terrifiante.