Sorry but not sorry.
Il faudra probablement compter sur l’artiste Eva Victor dans le futur du cinéma indépendant américain. C’est ce qui s’appelle une totale révélation puisque la jeune femme a écrit, réalisé et interprète son premier film très réussi « Sorry, Baby ». Sortie de nulle part et inconnue au bataillon, elle est parvenue à faire produire une œuvre très personnelle qu’elle a entièrement pensé et su mettre en images comme elle le souhaitait. Le film est passé par plusieurs festivals avec succès et il nous conquiert dès ses premières images.
Attention cependant, « Sorry, Baby » ne révolutionne pas non plus le cinéma d’auteur américain et n’invente rien dans le domaine. On pourrait même dire qu’il épouse certains de ses clichés les plus tenaces, ceux du cinéma d’auteur chic et bien-pensant. Il y a par exemple une petite part de wokisme propre à ce type de cinéma depuis quelques années (pas dérangeante), un côté parfois intello (pas trop prononcé non plus) et le décor est posé comme une palanquée d’autres œuvres du genre sur la côte nord-est, chez les riches universitaires américains. On pourra aussi reprocher quelques petites longueurs et un sujet féministe, certes engagé et nécessaire, mais abordé en long, en large et en travers depuis l’avènement de MeToo.
Ces petites réserves n’empêchent cependant pas de plonger dans l’univers d’Eva Victor et de s’y sentir bien. Sans forcer, avec beaucoup de naturel et de finesse de trait, elle nous immerge dans une histoire tristement banale mais tragique. Une histoire d’agression sexuelle comme il y a tant mais que l’époque permet de mieux dénoncer. Et elle traite avec délicatesse, sagesse, profondeur et même une pointe de légèreté parfois bienvenue ce sujet ô combien difficile. L’agression en question n’est pas montrée mais racontée, premier bon point. Et, plutôt qu’une histoire de vengeance ou de justice, « Sorry, Baby » va s’appliquer davantage à montrer les conséquences de l’incident, ses répercussions sur son personnage, mais surtout sa reconstruction personnelle. Et le montage non chronologique qu’elle propose est tout à fait à malin et à propos.
Le film regorge de séquences d’une profondeur absolue et d’une justesse de trait imparable comme celle du tribunal où elle est tirée au sort comme juré, celle avec le tenancier de la sandwicherie ou encore celle du bain avec son voisin. Des moments simples, touchants mais qui montrent de manière singulière et inattendue l’état psychologique de la victime impeccablement jouée par la réalisatrice. L’écriture est donc irréprochable et pointue et, si la mise en scène est classique, Victor sait toujours bien où placer sa caméra pour capter les regards et les gestes signifiants et qui veulent dire beaucoup. « Sorry, Baby » est un petit film en apparence mais puissant sur le fond sans jamais forcer pour autant. Un modèle de premier film maîtrisé et réussi qui donne envie de voir la suite pour cette jeune artiste complète de l’acabit d’une Greta Gerwig des débuts et sur laquelle il faudra probablement compter dans le futur et donc retenir le nom.
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