Les films sportifs s'intéressent normalement aux athlètes, ceux qui portent le ballon, lancent, frappent, courent, patinent, bloquent, se blessent et se relèvent. Ce sont eux qui inspirent les foules, qui invoquent les émotions les plus fortes, par la métaphore de société qu'est le sport. C'est d'autant plus vrai lorsque des nations s'affrontent, ce qui permet aux studios hollywoodiens de tabler sur un patriotisme très rentable au niveau marketing. Les gagnants, surtout, sont souvent les héros de ces films sportifs où la victoire sur le terrain équivaut à une autre victoire, morale ou personnelle, et où l'esprit d'équipe est sans cesse évoqué comme sine qua non de la victoire durement (et dûment) acquise.
Il y a des dizaines de ces films et ils s'inscrivent dans tous les sports majeurs américains, du football (Any Given Sunday, Remember the Titans, l'excellent Friday Night Lights et tellement, tellement d'autres), au baseball et au hockey (Miracle), en passant même par la boxe, mais bien peu de films s'intéressent à la gestion du sport et des équipes, au travail de ces directeurs-généraux qui doivent engager les joueurs, gérer les contrats et repêcher les jeunes talents, une étape pourtant essentielle avant de pouvoir mettre sur le terrain une équipe championne.
Draft Day, d'Ivan Reitman, qui prend l'affiche cette semaine, s'intéresse précisément à cet aspect du sport et met en vedette Kevin Costner dans le rôle du directeur-général des Browns de Cleveland (fictif, du nom de Sonny Weaver) à l'aube du repêchage de la NFL. Les notions de choix au repêchage, d'espoirs, de recruteurs, d'éclaireurs (les scouts) et même de plafond salarial sont évoquées, dans ce film qui construit son intrigue autour des performances hors du terrain, entre deux saisons. Au lieu de la passe de touché décisive, de l'attrapé spectaculaire, l'enjeu devient de mettre la main sur le joueur convoité sans qu'il n'enfile jamais son équipement à l'intérieur du film.
Une dynamique complètement renouvelée pour le film sportif, qui est apparemment bien difficile à vendre et à assumer. Il y a peu d'exemples et la plupart utilisent les péripéties des films grand public tradionnels plutôt que de parler de chiffres, d'analyses, de choix au repêchage et de négociations de contrat. Une histoire d'amour viendra par exemple souvent prendre le pas sur le récit sportif à proprement parler. L'équation est simpliste, certes, mais dans ces films, le sport, c'est pour les hommes, et l'histoire d'amour, c'est pour les femmes, et on espère à Hollywood qu'ils viendront tous les deux voir le film...
Dans le sport, les directeurs-généraux travaillent avec les agents de joueurs, et l'agent sportif par excellence, c'est Jerry Maguire, incarné par Tom Cruise dans le film du même nom. Une fois congédié d'une grosse agence, Maguire parvient à conserver un seul client, un receveur des Cardinals de l'Arizona qui veut signer une prolongation de contrat. Bien vite cependant, le film de Cameron Crowe, bifurque vers la comédie romantique, et c'est l'amour naissant entre Cruise et Renee Zellweger qui prend toute la place. Si le contexte est inédit (le personnage déclare dès les premières minutes : « I'm the guy you don't usually see » (Je suis le gars que vous ne voyez pas d'habitude), l'intrigue reprend vite la voie consensuelle du film grand public.
Trouble with the Curve, réalisé par Robert Lorenz, met en vedette un éclaireur vieillissant (incarné par Clint Eastwood) qui se réconcilie avec sa fille (Amy Adams) à travers leur passion commune pour le baseball. Encore une fois, le contexte sportif laisse place à un enjeu humain plus sentimental, plus universel. D'autant plus que le personnage d'Adams trouvera même au passage un prétendant...
Draft Day ne fait pas exception. L'accomplissement principal du héros aura été d'obtenir un ou des joueurs convoités lors du repêchage de la NFL. Des joueurs dont on ne sait pas s'ils seront à la hauteur de leur talent au cours de leur carrière, le repêchage étant une science très inexacte, et ce dans tous les sports. Or, le film ajoute nombre de sous-intrigues à cette trame principale (qui est palpitante), qui vont de l'habituelle histoire d'amour au deuil d'un père en passant par la maladie incurable. Les émotions, exacerbées par un sentimentalisme assez élémentaire, laissent croire qu'on n'a pas voulu demeurer dans le cadre strictement sportif pour ne pas exclure un public plus large.
Le récent Moneyball, de Bennett Miller, nommé six fois aux Oscars, est peut-être le seul exemple où l'enjeu demeure sportif tout au long du récit (et il est le seul véritablement basé sur une histoire vraie). Le directeur-général des A's d'Oakland, Billy Beane, y utilise une technique statistique afin de bâtir son équipe malgré une masse salariale beaucoup moins imposante que ses adversaires. Bien sûr, le récit propose des moments plus émotifs avec la fille de Beane, mais cela ne devient jamais l'enjeu principal, qui n'est jamais véritablement de « gagner » non plus, mais de prouver que le système fonctionne.
Dans tous ces films cependant, les protagonistes s'adonnent à la psychologie sportive, devant gérer des athlètes et leurs égos démesurés.
Il faudra voir comment Million Dollar Arm, qui doit prendre l'affiche en mai prochain, traitera son sujet. Jon Hamm y incarne un agent qui va jusqu'en Inde afin de trouver un jeune prodige du cricket et de le convertir au baseball. Comme le film est distribué par Walt Disney Pictures, disons qu'on s'attend à l'histoire d'amour proprette et à la leçon de détermination. On ne sera pas surpris non plus sur les héros gagnant à la fin... Qui a dit que le sport était imprévisible?