Portrait d’un doublage
Le résultat sur l’écran passe presque inaperçu, pourtant le travail est colossal. Comme la réception fait autant partie du cinéma que la conception du film, les adaptateurs et les doubleurs s’assurent de poursuivre l’illusion du cinéma jusqu’à une version du film dans une langue étrangère à l’original qui pourra être mieux comprise par le public unilingue - francophone dans le cas qui nous intéresse. Pour qu’un plus grand nombre de spectateurs puissent voir et comprendre le film, finalement. Et on ne remarque leur travail que lorsque c’est mal fait, imaginez.
Un vrai travail de l’ombre, ou d’obscurité d’un studio montréalais – ici Cinélume, que nous remercions au passage pour leur accueil – mais un travail minutieux qui ne fait pas que traduire de l’anglais au français, mais qui adapte à la culture.
Il faut voir pour comprendre l’importance et la difficulté du travail de l’adaptateur, du doubleur et du preneur de son dans leur tentative de rendre plus accessible un film qui reflète, dans les meilleurs cas, une partie de la culture de son pays d’origine. Le travail est complexe parce que les référents ne sont pas les mêmes, parce que le langage n’est pas le même mais que l’illusion doit rester, synchronisation oblige. Compte-rendu de notre visite chez Cinélume, studio de doublage de la métropole.
Pour ce doublage, le directeur de plateau était Olivier Reichenbach, et les comédiens Martin Watier et Guillaume Champoux.
Début du doublage
Le doublage débute bien avant l’enregistrement des voix. Il y a d’abord un rigoureux travail de repérage, avec un spécialiste qui doit noter non seulement les dialogues mais aussi les rires, les toux, les respirations, tous ces petits détails qui font l’ambiance sonore d’un dialogue à l’écran. Il note la phonétique des dialogues afin d’assurer une meilleure synchronisation. Le travail est minutieux et précis, puisque les mots doivent suivre les bouches qui se déchaînent à l’écran. Puis, on passe la copie du film à doubler - souvent de mauvaise qualité - à l’adaptateur, qui va traduire le texte et l’adapter aux notes sur la bande qui défilera au-dessus de l’écran pendant l’enregistrement. Il faut traduire le sens, tenter de garder la couleur du texte original, en suivant les règles élémentaires de la langue française et sa construction bien différente. Et le résultat défile au-dessus de l'écran, à une vitesse folle il va sans dire, sur un bande rythmo.
Puis, on entre en studio. Le directeur de plateau a déjà engagé ses comédiens, a minutieusement prévu un horaire de doublage et très précisément quelles scènes seront doublées quand et avec qui. Le doublage n’est pas plus linéaire que le tournage, les scènes d’un acteur sont regroupées pour éviter qu’il aille à se déplacer plusieurs fois pour rien. La bande rythmo défile au dessus de l'écran et l'acteur doit lire le texte en placant les intonations au bon endroit.
Et on dit « acteur » pour nommer ces doubleurs sans aucune hésitation, parce que lors de cette visite d’observation, on a vu les acteurs et le directeur de plateau, Olivier Reichenbach, discuter pour tenter de saisir leur personnage. On a passé plusieurs minutes à observer, à tenter de saisir les intentions, les objectifs et les enjeux de ces personnages qu’on n’a certes pas beaucoup le temps de bien connaître, le doublage d’un film moyen d’une centaine de minutes étant bouclé en cinq jours d’enregistrement en moyenne.
Les comédiens qui prêtent leur(s) voix(s) aux acteurs étrangers ont souvent un passé d’acteur de scène et on suivi un cours qu’on dit très rigoureux au Conservatoire. L'élocution doit être précise et la technique bien maîtrisée parce qu'ici l'émotion passe par la voix et par la voix seulement.
Difficultés
Pendant le doublage, on est d’abord dépendant de la qualité du film. Il faut adapter avec autant de rigueur les bons et les mauvais films, comprendre pour bien rendre les dialogues, le « slang » américain étant toujours une difficulté supplémentaire. On a eu droit, en quelques heures à peine, à trois expressions expressément crées par Olivier Reichenbach pour rendre les dialogues complexes du film sur lequel il travaillait. « Est-ce qu’on a déjà utilisé cette expression-là? » soulève-t-on pendant une séance de travail. « Non, de répondre l'expérimenté metteur en scène, mais quand il n’y a pas d’équivalent, il faut en inventer! ».
À cause de la complexité du processus et de la vitesse à laquelle il faut travailler, la pression est énorme sur toute l’équipe. Le travail est interdépendant, on a besoin des acteurs, bien sûr, pour leur voix, mais aussi du directeur de plateau qui les supervise, sans oublier bien sûr l’apport du preneur de son qui doit non seulement faire défiler le film, mais aussi enregistrer. Une erreur ou un moment d'inattention et tout le monde doit attendre. Et même une fois que les acteurs et le directeur son satisfaits de leur performance, le preneur de son doit encore leur dire qu’un mot n’est pas bien sorti, qu’il sifflait, qu’il était inaudible, que la continuité entre les scènes est brisée, qu’il faut reprendre. Et les acteurs se relèvent, retournent au micro et recommencent, encore, la phrase ou le mot difficile.
D’autant qu’on ajoute et modifie cette bande rythmo sans écrire les modifications. Alors en plus de devoir lire à une vitesse folle et jouer son personnage, l’acteur doit se souvenir des modifications apportées par le directeur de plateau. Des modifications qui servent parfois à soulager les dialogues parce que certains mots sont plus difficiles à prononcer, surtout lorsqu’ils se suivent, ou même parce qu’on vient de découvrir une signification cachée aux dialogues et qu’on veut les rendre plus clairs.
Le doublage est un processus complexe mené minutieusement par un petit groupe d'artisans. Et à voir la précision et l'exigence du travail, on n'a pas le choix de se dire qu'ils mériteraient sans doute une plus grande reconnaissance. Mais le travail de doubleur est fait dans l'ombre et sans tambour ni trompette, et la plupart des doubleurs apprécient cette caractéristique de leur travail. Parce que lorsqu'on double au grand écran la voix d'un acteur connu, il faut que les spectateurs dans la salle croient encore que c'est lui qui parle. Et si on reconnaît la voix, si on a son visage dans la tête, l'illusion est brisée. Question d'illusion, encore, parce que c'est le plus important au cinéma.
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