Le film choral est une oeuvre mettant en scène une multitude de personnages dont les destins s'entrecroisent ou sont unis par une chaîne d'événements ou une thématique précise. À l'international, de nombreux réalisateurs se sont bâti un nom grâce à la qualité et à l'originalité de leurs oeuvres chorales. Parmi les plus célèbres se trouvent Robert Altman (Short Cuts, Prêt-à-porter, Gosford Park, The Company peuvent être considérés comme des films choral), Alejandro González Iñárritu à qui l'on doit les magnifiques films 21 Grams et Babel, Quentin Tarantino (Reservoir Dogs, Pulp Fiction, Jackie Brown), Guy Ritchie (Snatch, RocknRolla) et Paul Thomas Anderson (Magnolia).
Plus près de chez nous, François Girard a relevé le défi en 1998 lorsqu'il a réalisé Le violon rouge, un grand film qui suivait, d'une époque à l'autre, le destin d'un violon mythique et de ses propriétaires successifs. La coproduction quadripartite (Canada/Italie/Grande-Bretagne/États-Unis) était si réussie qu'elle avait remporté neuf des onze prix Jutra et huit des dix prix Génies pour lesquels elle avait été mise en nomination. En 2000, le film avait également obtenu une nomination aux Golden Globes dans la catégorie du meilleur film étranger.
Cependant, rares sont les cinéastes québécois capables de donner au public une oeuvre aussi aboutie. Plusieurs tentatives ont vu le jour dans les dernières années. On n'a qu'à penser aux films Le banquet, Y'en aura pas de facile ou alors au dernier film de Robert Ménard, Reste avec moi, arrivé en salles hier. Certains étaient mieux réussis que d'autres. À titre d'exemples, citons Continental, un film sans fusil ou alors les films Bluff de Marc-André Lavoie et Simon Olivier Fecteau, et À l'ouest de Pluton de Myriam Verreault et Henry Bernadet qui, bien qu'imparfaits, avaient au moins la vertu d'être cohérents.
Le problème avec les films de ce genre est que, comme le récit est porté par une pléthore de personnages, le scénariste ne peut qu'accorder un nombre limité de scènes à chacun, ce qui implique une écriture très dense et un montage qui l'est tout autant. En effet, pour réussir à intéresser le spectateur pendant deux heures alors qu'il doit suivre plusieurs intrigues parallèles, la quête des personnages et leur évolution psychologique au cours du récit doit être captivante. C'est ce qu'a réussi Paul Haggis dans Crash, une fresque abordant la problématique du racisme à Los Angeles. Une autre technique éprouvée par les cinéastes pour conserver l'intérêt du spectateur envers les personnages est de laisser planer un mystère quant à la nature des relations qu'ils entretiennent. Willard Carroll avait utilisé avec brio cette ambiguïté dans un petit film indépendant et peu connu intitulé Playing by Heart dans lequel les membres d'une même famille (interprétés par Sean Connery, Gillian Anderson, Madeleine Stowe, Angelina Jolie et Ryan Phillippe entre autres) vivent différentes problématiques amoureuses.
Or, comme la complexité du récit d'un film choral est assurée par le grand nombre de personnages, il ne peut pratiquement pas se permettre d'aborder plus d'une thématique qui se doit d'être porteuse. Cependant, le postulat du film n'a pas nécessairement à être clair et peut être instinctif, mais les auteurs doivent s'assurer à ce moment-là que l'émotion passe bien. Généralement, l'utilisation de symboles ou d'objets connotés peut aider à canaliser la réponse émotionnelle chez les spectateurs. En bout de ligne, l'élément le plus important dans le film choral comme dans les autres, c'est la solidité du scénario. Après tout, faire un film, c'est comme faire la cuisine. Si la recette de base est mauvaise, peu importe ce qu'on y ajoutera d'ingrédients, le résultat sera immangeable. Or, dans un film choral, la quantité d'ingrédients possibles est généralement plus grande et la possibilité de s'y perdre l'est aussi.
Chez nous, les scénaristes ont contracté la fâcheuse habitude de tout vouloir faire passer par le dialogue, ce qui surcharge le récit d'allusions inutiles et empêche le film - et le spectateur - de respirer. Souvent issus de la culture télévisuelle, nos auteurs ont de la difficulté à faire le saut d'un médium à l'autre. Pourtant, la télévision d'ici est riche et la qualité des émissions laisse croire que nos créateurs sont capables de gérer une multitude d'intrigues simultanément. Voilà le noeud du problème : la télévision et le cinéma sont deux média très différents, tant dans la durée que dans le traitement. Or, Jacques Davidts (Les Parent, Polytechnique) et Pierre-Yves Bernard (Dans une galaxie près de chez vous, la série et les films) sont peut-être les seuls auteurs ayant réussi à intégrer les deux.
On croirait qu'une cinématographie qui a réussi, par le passé, à adapter une série télévisée culte au grand écran et à en faire une fresque épique comme Les Plouffe (Gilles Carle), réussirait à distinguer le grain de l'ivraie à l'étape du scénario, mais ce n'est malheureusement pas le cas, spécialement lorsque l'on parle de film choral. Dans une industrie qui semble toujours à court de moyens financiers, il serait peut-être temps que les institutions accordent davantage d'importance aux étapes cruciales que constituent le développement des projets et l'écriture des scénarios, avant de donner leur aval à des films qui coûtent des millions de dollars aux contribuables. En bout de ligne, c'est le scénario qui est la pierre angulaire de toute oeuvre et n'importe quel architecte vous le dira : il est impossible de bâtir de grandes choses lorsque les fondations sont chambranlantes.