Véritable électron libre du cinéma français, Yolande Moreau a participé à quelques-uns des films français les plus mémorables des dernières décennies, que ce soit Le fabuleux destin d'Amélie Poulain et Séraphine, où elle s'est méritée le César de la meilleure actrice.
Cinéaste à ses heures, elle propose avec La fiancée du poète une troisième réalisation absolument charmante, campant une femme sans attache qui utilise la maison familiale afin d'accueillir des locataires qui sortent de l'ordinaire.
Cinoche.com s'est entretenu avec cette comédienne attendrissante lors de son passage à Cinemania.
Qu'est-ce qui vous a mené vers La fiancée du poète?
L'idée de départ est venue d'un article sur les faussaires que j'ai lu dans une revue d'art. J'étais scotchée. Je m'étais dit : « Les faussaires, c'est quelque chose qui raconte parfaitement le siècle dans lequel on vit ». J'ai beaucoup lu sur le sujet. Mais je ne voulais pas faire un documentaire sur les faussaires. J'ai mis longtemps à savoir par quel biais aborder ça. Ce que j'aime beaucoup, c'est l'usurpation d'identité. C'est se faire passer pour quelqu'un d'autre. Je me suis penché là-dessus et je me suis dit qu'il y avait d'autres gens qui avaient besoin de tricher avec la réalité pour se l'embellir. Déjà, dans ma première réalisation, Quand la mer monte..., il y avait un mec qui se faisait passer pour Johnny Hallyday. Puis je suis tombée sur un très joli livre de Laurent Gaudé, Grand menteur, qui est aussi sur ce même thème : la nécessité de rêver pour se réinventer sa vie.
C'est beau comme philosophie.
Oui. Je trouve que rêver sa vie, pour le moment, n'est pas évident. C'était plus facile pour moi quand j'avais 20 ans que pour les jeunes actuellement de se projeter et de rêver. C'est difficile de rêver dans la société actuelle. Est-ce qu'on n'obéit pas un peu à une manière de se comporter dans une société hyper libérale qui nous impose de nous conduire d'une certaine manière? Est-ce qu'il ne faudrait pas un peu tricher? Est-ce qu'il ne faudrait pas se réinventer et trouver ce qui nous fait vraiment vibrer? Ça peut être les valeurs de la communauté, l'ouverture aux autres, l'art... Tout ce qui nous élève.
Votre long métrage porte sur les écorchés de la vie, la solitude, les regrets et les rêves brisés. Malgré la mélancolie ambiante, il s'agit d'un feel-good movie irrésistible, une ode souvent drôle à la liberté et à la marginalité qui rappelle que l'on peut toujours avoir une seconde chance. Trouver le ton du film fut évident? Car vous combinez drame et comédie, les deux genres par excellence de votre carrière.
Je viens du théâtre. C'est ce qui peut donner ce ton singulier. J'aime bien prendre une scène qui raconte une chose qui est importante pour faire avancer l'histoire et la raconter d'une autre manière. J'aime ça quand des scènes réalistes sont changées et qu'elles deviennent un peu étranges. Je viens de l'improvisation. C'est une manière d'écrire, et ça n'enlève rien au contenu de la scène. Mais ma manière de raconter est particulière. J'aime bien sortir du film pour raconter en images.
Visuellement, votre film est très soigné. Le rythme est posé, vous prenez votre temps et vous laissez triompher la nature. Il y a même un segment qui rappelle les films muets.
Personne ne me dit que mon histoire doit être réaliste. Pour moi, c'est une fable. Je voulais que l'image soit très léchée, très belle. Les Ardennes s'y prêtent avec cette vallée, ces arbres, le brouillard sur la Meuse. C'est assez beau. Je voulais des images comme dans des contes d'Hansel et Gretel. Il y a des strates et des tiroirs dans mon film où on peut s'interroger sur plusieurs choses et qui en font un film un peu libertaire.
Une scène du film La fiancée du poète - Axia Films
Cette oeuvre libre et poétique vous ressemble. Même si le film est imparfait, on sent qu'il a été fait avec beaucoup d'amour, de sincérité et d'authenticité. Comme quoi les maladresses sont parfois plus intéressantes que la perfection au cinéma...
Il y a tellement de films qui sortent au cinéma et ils se ressemblent tous. Celui-ci sort du lot. Comme je suis comédienne, je reçois beaucoup de scénarios qui me tombent des mains. Et c'est peut-être ça, aussi, qui m'a donné envie d'écrire. En les lisant, je me disais : « Attends, je sais le faire ». Cela m'a donné le sentiment de pouvoir y aller.
On vous découvre des talents de chanteuse et de musicienne.
Avant, je jouais beaucoup de guitare. Et dans les spectacles, je chantais souvent avec un faux accent anglais espagnol. Ça m'a amusée de jouer du ukulélé. Je ne le joue pas vraiment comme il faut. Au départ, je voulais le faire parfaitement, mais j'ai manqué de temps. Et finalement, ça me plaît bien. Cela revient au thème des faussaires.
Vous réalisez un film tous les 10 ans...
C'est un gros bateau, la réalisation. C'est beaucoup plus complet comme création que d'être comédienne chez quelqu'un d'autre. On touche à tout. On est très seul au début, mais j'aime bien l'écriture cinématographique. Puis on s'entoure des gens qu'on aime. Par exemple, les musiciens, ce sont les copains de La rue Kétanou. Ils sont venus chez moi à la campagne pendant la COVID. C'était une période très joyeuse.
Comme actrice, vous aimez vous associer à un cinéma libre, qui sort des sentiers battus, comme celui d'Albert Dupontel ou du tandem Benoit Delépine et Gustave Kervern.
Je reconnais que c'est génial d'avoir du choix. C'est un luxe. Je connais de très bons acteurs qui n'ont pas le choix. Je peux vraiment choisir et j'aime bien me surprendre, aller à des endroits où je ne m'attendais pas. Delépine et Kerven peuvent me demander ce qu'ils veulent et je vais dire oui, car ce sont mes amis. J'aime bien l'idée du clan, de la famille.
Quels sont les cinéastes qui ont joué un rôle marquant dans votre cinéphilie?
Aki Kaurismäki, Emir Kusturica, Agnès Varda, avec qui j'ai fait mon premier film. J'adore les frères Coen, même si je ne sais pas faire ce qu'ils font. J'y repensais tout à l'heure en me remémorant la genèse de La fiancée du poète. Je voulais faire un truc trash, mais ce n'est pas trash du tout!
La fiancée du poète prend l'affiche au Québec le 26 janvier.