Quiconque a pu voir Jusqu'à la garde en conserve des souvenirs impérissables tant la tension, implacable, n'épargnait rien ni personne. Son créateur Xavier Legrand récidive avec Le successeur, une seconde réalisation aussi sombre et maîtrisée, faisant vivre l'horreur à un fils (Marc-André Grondin) qui découvre avec effroi l'héritage de son père décédé.
Cinoche.com s'est entretenu avec le metteur en scène lors de son passage à Cinemania.
Votre premier long métrage, Jusqu'à la garde, a connu beaucoup de succès, remportant notamment le César du meilleur film et celui du meilleur scénario. Vous sentez qu'il y avait une pression pour celui-ci?
Effectivement. C'est la pression du deuxième film. Je voulais me délester de cette pression et prendre le temps qu'il me fallait pour le faire. Mais comme c'est un film qui est plus québécois que français, j'ai l'impression, en fait, que c'est un premier film.
Qu'est-ce qui vous a amené à coproduire avec le Québec?
C'est l'histoire qui a nécessité cela. Elle est très librement adaptée d'un roman. Dans le roman, cela ne se déroulait pas au Québec. Mais il fallait que je trouve un pays francophone qui soit très loin de la France. On aurait pu situer cette histoire en Belgique ou en Suisse, mais c'était trop proche. Il fallait que mon personnage soit isolé. Alors le Québec s'est très vite imposé.
Marc-André Grondin est d'une rare intensité dans ce film. Qu'est-ce qui vous a motivé à faire appel à lui?
Marc-André est un acteur qu'on connaît en France depuis C.R.A.Z.Y., qui est un film qui a marqué une génération. Dès qu'il a été question de trouver un acteur québécois pour interpréter ce rôle, je n'ai pas longuement hésité à m'adresser à Marc-André. Je trouve que c'est un acteur qui est d'une grande intensité, d'une grande intériorité. Cela m'intéressait aussi de l'amener ailleurs, de le tester. C'est réjouissant pour un acteur - je le sais car j'en suis un - d'être à contre-emploi, de sortir des sentiers battus. J'avais vraiment le goût de lui écrire une partition extrême, fiévreuse et intense. Marc-André est un acteur que je trouve plein, qui peut jouer énormément de choses. C'est un acteur sérieux et précis, qui a un rapport très sain face à la psychologie des personnages et des émotions. On peut aller très loin avec lui. Il est prêt à donner énormément de lui et ça rend le film plus intéressant.
Une scène du film Le successeur - Entract Films
Comme dans votre premier film, vous explorez les liens complexes entre un père et son fils, cette transmission tordue qui s'effectue par le sang et qui prend la forme, métaphoriquement, d'un héritage empoisonné. Comment va votre relation avec votre père?
(Rires) Ce ne sont pas forcément les rapports au père qui m'intéressent, mais plutôt la thématique du patriarcat qui est explorée dans mes films et qui se décline sous la forme de la violence... J'avais envie de parler de la violence des hommes et comment le patriarcat écrase et opprime. On parle généralement des femmes et des enfants, mais rarement des hommes. Eux aussi, ils se construisent par rapport au père, aux générations qui les précèdent. Le patriarcat les a construits et les a définis.
Lorsque le héros découvre l'héritage de son père, il ne sait pas comment réagir et cumule les mauvaises décisions...
Pour moi, il est une victime collatérale de son père. C'est une figure tragique. Il est comme Oedipe qui se crève les yeux parce qu'il ne veut pas voir les choses. À partir du moment où il nomme la chose, il nomme l'innommable et cette chose existe. Mais lui, il ne veut pas voir que ça existe. Il ne cherche pas à protéger son père : il cherche à se sauver lui. En tentant de sauver sa peau, il va droit au désastre, à la boucherie... C'est évidemment son erreur fatale, et c'est ce qui va le conduire à sa chute totale.
La mise en scène prend beaucoup de place dans ce film. La musique est omniprésente, les mouvements de caméra sont apparents, etc.
Pour ce film, la mise en scène est très identifiable et identifiée vers le film de genre. Il y a quelque chose d'un peu familier quand on aborde un genre. Le film va un peu côtoyer le film noir, le film d'épouvante. On y retrouve des codes intentionnels, comme cette image du personnage qui se trouve devant un escalier qui l'amène dans l'obscurité. On l'a vue dans plein de films et on comprends où cela va nous amener. Ce qui est intéressant, c'est de détourner les codes et de les tordre. En faisant une torsion sur le genre lui-même, le choc est encore plus surprenant.
Quels sont les cinéastes qui ont joué un rôle marquant dans votre cinéphilie?
Je suis un acteur de théâtre. Je suis un autodidacte. J'ai appris le cinéma par moi-même, en voyant des films. Les trois grands cinéastes qui ont formé le cinéaste que je suis sont Alfred Hitchcock, Michael Haneke et Claude Chabrol.
Le successeur prend l'affiche partout au Québec le 2 février.