Paru en 2017, le livre La tresse s'est vendu à des millions d'exemplaires. Ce récit choral qui met en scène trois héroïnes qui n'ont pas froid aux yeux - l'Indienne Smita qui fera tout pour donner un meilleur avenir à sa fille, l'Italienne Giulia qui doit sauver l'entreprise familiale, et l'avocate canadienne Sarah qui se découvre atteinte d'un cancer - a été transposé au cinéma par l'entremise de son autrice, Laetitia Colombani.
Cinoche.com s'est entretenu avec la romancière et cinéaste lors de son passage à Montréal.
Selon-vous, qu'est-ce qui a pu expliquer l'engouement du livre?
C'est toujours mystérieux et difficile à expliquer. Il y a un peu de magie dans tout ça. Je ne m'attendais pas du tout à ça. C'était mon premier roman. Ce qui m'a étonnée, c'est de voir comment les lectrices - parce que le roman a surtout été lu par des femmes - se sont emparées du livre et l'ont partagé autour d'elles. Je pense que le succès est venu de là. Les femmes l'ont aimé et elles ont voulu se l'offrir entre elles. Beaucoup de lectrices m'ont confié avoir acheté des exemplaires pour l'offrir à leur mère, à leur soeur, à leur fille, etc. Elles se reconnaissaient dans les personnages. Je crois que les femmes ont pris le roman comme une ode à leur courage. C'était un livre qui portait leur voix. Le roman parle du lien, conscient ou inconscient, qui nous relie tous. J'ai vraiment eu l'impression qu'il y avait un lien dans le fait de se passer le livre de main en main.
Il est normal que vous vouliez adapter votre roman au cinéma, ou vous auriez accepté qu'un autre cinéaste l'adapte?
Je me suis vraiment posé la question quand les producteurs sont venus me trouver après la publication du roman. J'étais excitée à l'idée de pouvoir le réaliser et, en même temps, effrayée par l'ampleur du projet. On me proposait d'aller tourner en Inde, en Italie et au Canada. C'est quelque chose que je n'avais jamais fait. Ce qui me faisait peur, notamment, c'est de diriger des comédiennes dans des langues que je ne parle pas... Pour moi, il était évident que si un film existait, il devait être très fidèle au roman. Je me suis dit que si je ne le réalise pas moi-même, quelqu'un d'autre livrera sa vision et je prends le risque que cette vision ne me convienne pas, qu'elle ne soit pas conforme à ce que j'imagine ou que les lecteurs soient déçus. Le roman a eu un tel accueil qu'il fallait que je réalise le film.
Le livre est très cinématographique. Ce fut aisé de le transposer? Quelles sont les règles pour réussir son adaptation?
Ce que je m'étais fixé comme mission, c'était d'être très fidèle. De respecter la structure, d'alterner les points de vue entre ces trois femmes. Je voulais impérativement tourner dans les trois pays du roman et dans les langues originales, parce qu'il me semble qu'on est vraiment immergé dans la culture d'un pays quand on entend sa langue. J'avais posé comme conditions de tourner en hindi, en italien et la partie canadienne, on s'était posé la question entre l'anglais et le français...
Il n'est jamais indiqué dans le roman si la partie à Montréal se déroule dans la langue de Molière ou de Shakespeare.
Les producteurs m'ont dit qu'ils souhaitaient qu'un tiers du film soit en langue anglaise. C'était préférable pour le côté international du projet. Étant moi-même française, il aurait été plus aisé et plus naturel de tourner cette partie en français. En même temps, il y avait ce côté assez anglo-saxon dans l'histoire comme je l'avais imaginée. Lorsqu'on pense à ce cabinet d'avocats très compétitifs, on a tous en tête des séries américaines.
Que vouliez-vous essayer sur le plan de la mise en scène? La photographie est soignée et il y a un jeu intéressant au niveau du montage en forme d'ellipses afin de faire résonner ces intrigues tressées ensemble...
J'avais envie de prendre le spectateur par la main et de l'emmener en Inde, en Italie et au Canada. Avec Ronald Plante, le chef opérateur canadien qui a filmé tout le film, on a vraiment établi des grandes options en termes de couleurs, d'ambiance, d'énergie. Toute l'Inde est presque tournée caméra à l'épaule, l'Italie en steadicam et au Canada, on a des mouvements d'appareils plus posés et contrôlés, comme l'univers de l'avocate. Mon but, dans la mise en scène, était de transposer l'énergie et le rythme propre de chaque héroïne en me disant que plus le film allait avancer et plus les brins de la tresse allaient se tresser et se resserrer. La partition musicale m'a aussi beaucoup aidée à créer ce lien, cette unité entre les trois parties.
La musique est superbe.
J'ai pu travailler avec Ludovico Einaudi, qui est un très grand compositeur italien, et qui compose très rarement pour le cinéma. Il a composé spécifiquement toute la bande originale du film. C'est sa musique qui est ma plume pour créer les liens entre les personnages.
Une scène du film The Braid - SPHÈRE Films
L'émotion passe par la musique. Comment l'utilise-t-on avec subtilité afin d'éviter le mélo larmoyant?
C'est un équilibre subtil et on est toujours sur un fil. La musique doit faire ce lien, raconter des choses. Est-ce qu'on en met trop? On n'en met pas assez? J'ai eu ces discussions avec Ludovico. C'est vrai que j'adore sa musique, alors j'ai tendance à adhérer à tout ce que j'entends de lui. Pour moi, il y a toujours une forme de tension dans sa musique, en même temps qu'une vraie émotion. Là, je ne voulais pas me restreindre, me refréner. J'adore, par exemple, les films de Xavier Dolan. Il n'a pas peur de la musique et de l'émotion. En tant que spectatrice, j'aime être émue.
Comment arrive-t-on à lier les différentes histoires afin de rendre justice aux personnages, qu'ils deviennent réels et complexes à l'écran?
LE défi du film, c'était de trouver l'équilibre entre les trois personnages. Quand on quitte un personnage, on doit être content de retrouver l'autre. Il ne fallait pas qu'une partie supplante les autres. Il fallait trouver des comédiennes extrêmement différentes qui soient douées et que le spectateur puisse s'identifier à elles... J'ai essayé de rendre ces femmes aussi singulières que possibles. Ce sont des personnages qu'on a pu croiser dans la vraie vie. Pour moi, ce sont des héroïnes du quotidien.
Bien que le livre soit sorti en 2017, il résonne toujours aujourd'hui dans sa façon de parler du patriarcat, de la sororité...
Le roman a été publié en mai 2017 en France et à l'automne, il y a eu la campagne #metoo. Je pense que le roman, j'aurais pu l'écrire il y a 50 ans ou dans 50 ans. La situation des femmes reste très inégalitaires partout où l'on va. De manière très visible, bien sûr, par exemple en Inde. Mais également de façon beaucoup plus invisible et insidieuse dans nos sociétés occidentales. J'avais envie de parler des discriminations, des inégalités, du fait que pour tenir leur place dans la société, les femmes doivent mener bataille encore aujourd'hui. Elles doivent livrer un combat. À chaque moment de l'Histoire, leurs acquis peuvent être remis en question. On le voit au niveau politique dans le monde actuel. Il y a toujours cette nécessité de rester mobilisé.
Vous avez réalisé À la folie... pas du tout (2002) et Mes stars et moi (2008), qui abordent des sujets très différents de vos romans. Aujourd'hui, vous vous considérez davantage comme une romancière ou une cinéaste?
Quand j'écris un roman, je suis romancière. Quand je réalise un film, je suis réalisatrice. Quand je joue, je suis comédienne. Quand j'écris pour la scène, je suis dramaturge. Pour moi, toutes ces casquettes-là, c'est le même métier. Je raconte des histoires de manière différente, avec des images ou des mots. Enfant, j'ai toujours adoré qu'on me raconte des histoires. J'ai commencé assez petite à écrire des petites histoires, des petites nouvelles. C'est ce qui me constitue.
Quels sont les films ou les cinéastes qui ont joué un rôle important dans votre cinéphilie?
J'ai été marqué durablement par les films de Jane Campion, par La leçon de piano en premier, puis Portrait de femme. C'est une cinéaste qui parle merveilleusement des femmes, qui écrit à chaque fois des personnages de femmes très fortes. C'est vraiment la cinéaste qui m'a le plus inspirée... Il y a également des films comme The Hours de Stephen Daldry, qui a été un choc et qui reste un de mes films cultes.
Comme dans La tresse, ce long métrage entremêle trois histoires, met en scène trois héroïnes de lieux différents, et la musique émotive de Philip Glass sert de liant.
Oui. Exactement. Absolument. C'est un film que je revois régulièrement. Le film parle d'écriture, de la création. Virginia Woolf est une des écrivaines qui m'a le plus marquée... Mais je dois également parler du film Babel d'Alejandro Gonzalez Inarritu. Ce n'est pas un film centré sur les femmes, mais il a une structure qui entrelace trois histoires sur trois continents. Je me souviens très bien de sa sortie. J'ai vu le film en salle et je me suis dit: « Ce que j'aimerais un jour, c'est raconter un Babel au féminin. » Je me souviens de cette idée-là. Je pense que ç'a été une source d'inspiration pour La tresse.
La tresse prend l'affiche le vendredi 19 janvier.