Huit ans après Les fantômes des trois Madeleines, la réalisatrice Guylaine Dionne présente son nouveau projet de film de fiction, Serveuses demandées, qui est inspiré de la situation de jeunes immigrantes forcées de travailler comme danseuses pour survivre au Québec.
Rencontre avec la réalisatrice et l'actrice principale du film, Clara Furey.
Guylaine Dionne
Il y a huit ans, lorsque Guylaine Dionne débute la recherche pour son nouveau film, c’est une grande conscience sociale qui la pousse à s’intéresser au destin de jeunes immigrantes. « J’avais vu des articles dans les journaux parlant de jeunes femmes qui venaient travailler ici sous de fausses annonces ou de fausses représentations. On leur demandait de venir comme babysitter, ou comme femme de ménage. »
« J’enseigne aussi à l’Université Concordia et je travaille beaucoup avec des étudiantes étrangères et je voyais aussi la difficulté qu’elles avaient. Souvent elles font un bacc de cinq ans parce qu’elles n’ont pas fait de cégep dans leur pays, et après, alors que leur vie est ici, on leur dit que leur visa d’étudiante est expiré. »
« Je voulais que le film suscite une réflexion, que les gens y croient. J’ai fait beaucoup beaucoup de recherche, et c’est sûr que c’est une histoire dramatisée avec des personnages fictifs, mais la façon dont j’ai filmé les bars, filmé ces jeunes femmes-là, les endroits où on est allés, c’est vraiment des endroits que j’avais vus pendant mes recherches. Au Brésil, par exemple, j’ai filmé avec une petite caméra vidéo mini-DV. Il y avait cette volonté d’aller toucher des gens et de ne pas faire de sensationnalisme autour de cette histoire-là. Je voulais d’abord que l’histoire humaine prenne le dessus sur le cinéma, si on veut. »
« C’est pour ça que je mets les portraits des femmes au début, parce que ça peut être toutes ces femmes-là. J’ai choisi l’histoire d’une étudiante étrangère parce que c’est quelque chose qui n’a jamais été traité, je trouvais que c’était intéressant d’en parler pour susciter une réaction. »
La jeune comédienne Clara Furey a une formation en danse contemporaine, était-ce un avantage pour elle? « Clara était très à l’aise avec son corps, elle avait beaucoup du personnage de Milagro, ce petit côté rebelle. Je voulais quelqu’un qui avait une force, une force de caractère parce que c’est quand même un personnage difficile à jouer, et Clara, tout de suite quand je l’ai vue, son regard, son visage, cette force du personnage m’ont tout de suite séduite. »
« La force avec laquelle elle interprète le personnage de Milagro, c’est beaucoup dû, si j’y repense, à son expérience de danseuse de danse contemporaine. Elle dégage beaucoup avec son corps, alors pour un metteur en scène, c’est formidable, on peut même éliminer des dialogues parce que ce qu'on voit à l’écran est assez fort. »
Est-ce qu'il fallait lui porter une attention particulière sur le plateau? « Clara a travaillé fort, elle s’est vraiment investie, elle a fait le tour des bars, elle a fait du coaching, on a travaillé pendant presque un mois avant le tournage. Pour ce qui est des danses, c’est elle qui a fait les chorégraphies, moi je l’ai laissée faire parce qu’elle le faisait bien, et je voulais aussi que ce soit très représentatif de sa génération. »
Est-ce qu'il fallait rester pudique; parce que les dansesues nues ne sont pas très souvent « nues », dans leur numéro. « Ce n’est pas qu’il fallait rester pudique, c’est surtout que ce n’est pas ça l’objectif du film, en fait. L’objectif du film c’est d’ouvrir une réflexion, de créer un intérêt. C’est un film citoyen. »
Clara Furey
« Guylaine avait vu CQ2, le seul film que j’avais fait, et elle m’a envoyé le scénario pour me demander de passer une audition. J’ai vraiment adoré. »
Tu n’as pas de formation de comédienne, mais de danseuse. C’est le contraire pour ta co-vedette Janaina Suaudeau. « Elle, elle sortait d’une école de théâtre, c’est ça qui était super. Elle, ce n’était pas une danseuse, alors c’était à moi de la déniaiser dans les scènes plus physique et moi, juste d’avoir une bonne actrice qui est full dedans, ça m’a donné ce qu’il fallait pour me croire! »
Est-ce que le réalisme était particulièrement important sur le plateau? « Pour Guylaine, ouais, vraiment. Tu le vois, ce n’est pas « flash » son travail, tu vois qu’elle vient du documentaire, il y a un réalisme. Tu le vois dans son décor, ses images, sa façon de tourner... C’est sûr que ça paraît. »
Elle dit t’avoir laissé faire les chorégraphies pour mieux s’adresser à ta génération. Est-ce un film générationnel? « Pour la danse, oui, mais pour le reste, peut-être moins. Dans le scénario, ce qui fittait dans ma bouche, oui, mais quand même on restait très proche de l’écriture de Guylaine. Je ne sais pas à quel point c’est générationnel, moi je crois que c’est plutôt intemporel ce qu’elle a fait. »
As-tu l’intention de poursuivre une carrière d’actrice? « J’ai adoré joué, mais j’ai tellement la piqûre pour l’art vivant et l’art de scène que j’ai de la misère à m’en passer. C’est quand même une grosse machine le cinéma, et tu n’as pas beaucoup de contrôle sur la performance finale. »