Attendu en janvier prochain, le premier long métrage de Richard Jutras, La belle empoisonneuse, a été tourné l'été dernier dans la région de Québec avec les comédiens Isabelle Blais, Maxime Denommée, Benoît Gouin, André Melançon et Robert Lepage.
Homère Angelopoulos Lacroix, 25 ans, voit sa vie basculer le jour où le hasard place sur sa route la belle et mystérieuse Roxane. Dès lors, le destin de nos deux héros croisera celui d'une grande comédienne aveugle, d'un philanthrope manipulateur, de la déesse Athéna, d'un dinosaure immuable et d'un humoriste déprimé.
Plongés dans cet univers éclaté aux accents de tragi-comédie-romantique, Homère et Roxane parviendront-ils à surmonter les épreuves qui les attendent?
Rencontre avec Richard Jutras, à quelques semaines de la sortie de son premier long métrage.
Richard Jutras
Avec déjà près d’une demi-douzaine de courts métrages à son actif, Richard Jutras n’est pas vraiment « un p’tit nouveau » dans le milieu de la réalisation, même si La belle empoisonneuse est son premier long métrage. Mais pourquoi s’intéresser au cinéma? « Je n’ai pas choisi de faire du cinéma. Je me suis retrouvé dans une situation, comme bien du monde, où je ne savais pas où m’en aller. J’avais commencé à m’intéressé à la photo, un petit peu au son, à la musique, mais rien de concret. »
« Je n’étais pas du tout cinéphile, j’avais vu quelques films seulement, mais j’étais très curieux. J’étais fasciné par le cinéma en noir et blanc, japonais, sous-titré... j’avais une curiosité pour ça, mais je n’étais pas cinéphile comme bien des jeunes au cégep qui avaient une longueur d’avance sur moi. »
« D’ailleurs, quand je me suis inscris au cégep, j’ai été refusé. Parce que à ma deuxième session en histoire, j’avais abandonné mes cours alors je me suis retrouvé avec des zéros, et l’orienteur du Cégep Montmorency, à Laval, ne voulait pas m’accepter. »
« J’ai fait un deal avec lui : si je n’avais pas 75% dans tous mes cours à cette session-là, il me mettait à la porte. Il a accepté. »
Est-ce qu’on peut vraiment « apprendre » le cinéma à l’école? « Oui. Le premier film qu’on a analysé plan par plan, c’est L’homme à la caméra, de Vertov. La première fois que tu regardes tu dis : « bon, c’est bien beau tout ça, la succession d’image... », mais tu ne comprends pas le propos. Et tu finis, à forcer de l’étudier, à te dire que c’est un langage, qu’il y a une façon de s’exprimer à travers la caméra, l’image, le montage. »
« Pour moi, ça a été la découverte que le cinéma pouvait avoir son langage propre, en dehors du langage classique de raconter une histoire en mots. »
« Et après ça, le deuxième film, celui qui m’a fait croire que moi aussi je pourrais faire du cinéma, c’est Le chat dans le sac, de Gilles Groulx, parce que dans ce film-là, je pouvais me reconnaître. Il y avait un langage extrêmement intéressant qui ne ressemblait pas à ce que j’avais vu avant. »
Est-ce qu’il existe un « vrai » cinéma? « Avant même de me dire que je veux faire du cinéma, du vrai cinéma ou du grand cinéma, comme moi-même je l’aime, ma démarche fait en sorte que ce qui prime pour moi, c’est l’histoire et comment elle est racontée. »
« Moi je rêverais qu’il y ait une éducation cinématographique, et musicale tiens, à l’école. Comme avec la littérature, tu lis ou tu vois les classiques. Il faudrait que le cinéma soit considéré comme un art comme les autres. »
« L’art, le cinéma, la musique, il y a tellement une grand part de subjectivité. Qu’est-ce qui fait que tu aimes un film plutôt qu’un autre? »
« J’ai vraiment l’impression qu’on fait les films qu’on peut, et non pas les films qu’on veut. »
La belle empoisonneuse est le troisième scénario de long métrage écrit par Jutras, mais le premier à être filmé. « Avec mon premier scénario, j’avais eu de l’argent pour écrire une première version, mais il s’était passé beaucoup de temps pour trouver le financement et trouver un producteur, j’ai décidé de la saborder, de le laisser tomber. »
Est-ce qu’il est abandonné complètement? « C’est évident que les thèmes, des répliques et même certains personnages viennent de ce scénario-là, mais je n’aime pas retourner en arrière, alors oui, c’est à jamais. »
« J’en ai écris un autre, sur lequel sur travaillé pendant trois ou quatre ans qui s’appelait Dette de sang et que je devais faire aussi à la Coop, et finalement encore là, après un troisième refus, j’ai décidé de le mettre sur la glace. »
« Et puis, très spontanément, pour me changer les idées, je me suis mis à écrire La belle empoisonneuse. C’est sorti d’un trait, je n’avais aucun plan de travail, c’est vraiment spontané. À ce moment-là je commençais à lire de la tragédie grecque, alors le film a été nourri de ces lectures-là. Il y a quelque chose de très ludique dans le film, sans contraintes, il a été écrit dans un esprit de liberté. »
Mais ça n’a pas été facile encore une fois d’avoir du financement. « Après les refus de la SODEC et de Téléfilm, je me suis assis avec le producteur Yves Fortin et on s’est demandé si on le faisait quand même, parce que j’étais tanné d’attendre et que je voulais faire ce fameux premier film-là. »
« On a été obligé de récrire le scénario, malheureusement on a perdu quelques affaires. Le scénario devait se passer l’hiver, il devait y avoir des scènes plus oniriques, pas à grand déploiement nécessairement, mais avec une tempête de neige. Il a fallu que je trouve des stratégies pour garder certains éléments avec beaucoup moins de budget. »
« Il a fallu que les techniciens acceptent de différer leur salaire, que moi aussi j’accepte... Mais les gens étaient tellement intéressés à le faire qu’il y avait une vraie volonté au niveau de l’équipe et des comédiens de faire le film, j’ai été bien appuyé de ce côté-là. »
L’histoire se déroule dans une ville qui ne ressemble pas à ce qu’on voit habituellement, dans les lieux qu’on voit rarement au cinéma. « Le film a été tourné à Québec parce que le producteur est de Québec, alors c’était tout à fait normal de faire travailler les gens là-bas. Mais aussi, l’ambiance est différente, ça fait changement des lieux habituels et ça déteint sur le film. J’ai voulu faire ressortir un peu l’ambiance maritime avec les bateaux, le port... »
« Évidemment le danger à Québec c’est de tomber dans le piège de la carte postale, parce que tout est beau! Il y a quelque chose de très cinématographique, de très intéressant visuellement. J’ai essayé de faire en sorte qu’on ne reconnaisse pas la ville. »
Êtes-vous un réalisateur tyrannique? « C’est sûr que le réalisateur, c’est lui le capitaine du bateau. Quand il y a un moment de flottement, il faut vraiment diriger l’équipe. Il faut assumer nos réussites comme nos mauvais coups. Mais en même temps, j’aime beaucoup collaborer et travailler avec les gens. C’est un travail d’équipe, tout seul, tu ne peux rien faire. »
Les acteurs ont donc beaucoup de libertés pour suggérer des idées? « Je ne me vexe pas. J’ai vu des réalisateurs parfois tellement insécures que tu leur donnes une idée et ils se braquent parce qu’ils ont peur d’être dépossédés et qu’on dise qu’il ne sait pas où il s’en va. Ce n’est pas ça, un réalisateur, c’est un rassembleur, c’est un voleur d’idées. Si tu as peur de prendre les idées des autres, tu es mieux de faire un autre métier. »
« J’adore le travail avec les comédiens, c’est vraiment la poursuite du travail de réflexion avec les personnages. »
Est-ce que le cinéma québécois vit une période particulièrement euphorique grâce à des films plus populaires? « Au Québec, en terme de qualité-prix, on fait vraiment un travail extraordinaire. Et les gens aiment ça, et c’est correct, ils ont travaillé toute la semaine et ils ont les moyens la fin de semaine d’aller au cinéma et manger au restaurant pour se détendre. Je n’ai pas de problème avec ça, et même si moi ce n’est pas ma tasse de thé personnellement, il reste que c’est ce genre de films-là quand même que les gens se sont mis à apprécier le cinéma québécois. »
Le film prendra l'affiche le 25 janvier prochain.